• Pologne: Trompait-on?

    TROMPAIT-ON ?


    Cracovie...

    J'adore cette ville...

    http://www.youtube.com/watch?v=v5bwS62m_Sk

    Presque autant que maman et à chaque séjour (un peu forcé) je comprenais de plus en plus son mal-être « en exil » à Katowice, en Silésie. La Haute.

    De temps à autre, malgré les oppositions vigoureusement ronchonneuses de Grand' mère, je me rendais, la main dans la main, avec mon Grand Père à la fameuse place - Rynek, à dix minutes à pieds de chez eux.

    Lors de ce trajet mes yeux tombaient sans cesse sur des images et des objets merveilleusement intéressants, et principalement esthétiques, tels les monuments garnis des cacas liquides des pigeons émotifs, les stands à chaque pas regorgeant de petits jouets en bois, les « barbes à papa » multicolores, sans oublier le must cracovien - « obwarzanek », autrement dit « precel » (bretzel - un « étouffe chrétien » à cause duquel le dirigeant d'une célèbre nation avait failli perdre sa vie « bretz-ieuse » de "grand" chrétien) vendus à chaque coin d'une rue...

    Dans la mesure où mon Grand Pa' n'économisait pas pour une Trabant 600, lui, et n'étant pas radin, il m'achetait sans se rebeller tout ce que je désirais. Sauf les pigeons...

    golab

    "Comment chier avec précision sur les gens"

    Extrait de : "Instructions du manuel du vrai pigeon".

    Sur le Rynek se trouvait un très ancien restaurant « U Hawełki » où travaillait son frère.

    C'était là où je pouvais m'impatienter en jouant dans les couloirs avoisinant les cuisines et en guettant « hejnał mariacki » en direct de la tour de l'église de Sainte Marie.

    NB. « Hejnal » vient du hongrois : réveil aux aurores - c'est à dire quelques notes de trompette annonçant au monde que le soleil se levait.

    http://www.youtube.com/watch?v=WGXq_uYx2tA&feature=related

    Le contraire du coucher de soleil dans le film d'Alain Chabat « Rrrrrrhhh » :

    - « Ca va être tout noir ! criait le préposé au coucher de soleil

    - Ta gueule - répondait poliment la populace couchante. »

    C'était là où on achetait également mon silence en me gavant de desserts à IG strictement interdit.

    Ainsi, vers midi, les trois complices : mon Grand Père, son frère (je précise : qui avait terminé son service) et Kazimierz (qui était toujours en...) se mettaient à une table, à part pour y discuter (de quoi ?) tout en buvant « une toute petite vodka » (pourquoi une ? Pourquoi petite ?).

    A tout bout de champ (les calculs suivent), le pote de mon « dziadziuś » (Papy), Kazimierz, le trompettiste, montait (pour ensuite descendre) le même escalier pour y jouer son air aux quatre points cardinaux qui, à la fin, à l'est, était brusquement interrompu.

    La légende racontait qu'en  1241, lorsque les hordes d'ennemis mongolo tatars sont sournoisement arrivées aux portes de la ville de Cracovie, un garde muni d'une trompette s'apprêtait justement à « sonner » l'aube. Il avait repéré l'ennemi et avait essayé (vainement) d'en prévenir la population jusqu'à ce qu'une flèche tatare se plante dans sa gorge et interrompe cette alarme.

    Les réunions des trois papets m'ennuyait car peu du temps après, ils devenaient subitement bruyants et entonnaient des chansons paillardes auxquelles je ne comprenais rien : qui, qui avec qui, pourquoi faire, quand ?

    Et puis elles étaient toujours interrompues, car Kazimierz devait songer à monter l'escalier encore une fois et jouer ses airs dans l'air cracovien - pur et limpide vu la proximité des Tatras.

    Calcul rapide : 15 minutes pour monter, 3 minutes pour se produire et 10 pour descendre. Au total : 28 minutes. Il lui restait donc 32 minutes pour boire !

    Habituellement, vers 15h, il avait tendance à confondre ses notes modulées (sans doute à cause des efforts physiques) et là, très haut sur sa tour, parfois, il produisait les sons du Glenn Miller Band ou ceux de Louis Armstrong, et ceci étaient plutôt mal perçu par les touristes exigeants et envahissants du Rynek...

    En se séparant, les trois complices étaient heureux, sans montrer à quiconque qu'ils étaient complètement « trompette ».

    A la fin, nous allions saluer monsieur Lajkonik - ce Tatar, bipède, coincé depuis des années et dépassant à peine d'une monture de cheval en bois et couvert d'étoffes chatoyantes, - « vilain oriental » aux yeux noirs et menaçants qui me rappelait étrangement ceux de ma Grand'mère (coincée dans sa cuisine, elle), et affublé d'une longue tresse masquée sous un bonnet pointu - Stanisław.

    Son rôle était simple (et commode car il pouvait consommer à l'aise de l'alcool caché sous sa robe ample) car il se résumait à servir  de « décor » pour des prises de photos moyennant rétribution.

    NB. Lajkonik, lors de sa parade annuelle, extorque de l'argent en échange de sa protection aux magasins, bars et bureaux, mais également aux passants. Si ces derniers lui rendent hommage, il leur donne un coup sur la tête avec son bâton, ce qui d'après la légende porte chance... »

    Actuellement c'est plutôt d'autres hordes, plutôt organisées, qui y ravagent, en distribuant leurs coups de bâton à ceux qui se rebellent. On les appelle « racketteurs »...

    Les nombreuses ruelles datant du Moyen-âge qui entouraient cette place principale abritaient des centaines de petites échoppes tenues en majorité par des commerçants juifs dont, à l'époque, j'ignorais totalement l'existence.

    Les librairies et les bijouteries étaient mes préférées.

    Par contre tout ce qui y touchait à la gastronomie populaire, me donnait des nausées et même le bouillon de poule qui m'attendait tout à l'heure ne m'inspirait guère... (évidemment avec l'overdose de precel , de « barbes à papa » et autres friandises...)

    Les tonneaux de choucroute, de délicieux cornichons en saumure et de harengs Bismarck s'y alignaient ensemble en collant avec leurs vendeuses.

    Les pots en grès, gonflés de « kvas », de « barszcz czerwony » (soupe aux betteraves rouges fermentées), de żur (farine de seigle fermentée à l'ail et servant de base à de la bonne soupe : « żurek »)  lâchaient leurs émanations qui piquaient aux yeux, au nez et serraient à la gorge. En plus, mon cerveau m'envoyait alors des rappels alarmants de la douleur ressentie lors de mes nombreuses angines, et l'histoire de la flèche des tatars plantée dans la gorge du vigile  m'achevait.

    Au « khanat de grand'mère », les oreilles « couchées » et encore remplies des airs du trompettiste Kazimierz (et ceux de chansons paillardes...), - plus modestes et effacés, - nous eûmes le droit d'entendre, de près cette fois-ci et pas d'une tour, les interminables litanies monocordes qui se forçaient à transmettre le message suivant : ... manque de respect... une pauvre femme... avais un mari qui m'aimait (qui veut m'aimer ?Moi ! Mémé, quelqu'un pour toi !) Qu'est-ce que j'ai fait au bon Dieu... Abandonnée... Incomprise par le monde entier (et mon dentier ?)... Et moi qui attendais, attendais...

    Sous la couverture de cette bande sonore aux cheveux rouges, je disparaissais alors dans la salle des bain afin d'évacuer dans la chiotte, le plus discrètement possible, mon surplus de friandises cracoviennes.

    En fait, complice affirmée et dévouée de mon grand père, je ne voulais surtout pas que cette « Mamy-khan » aprenne ailleurs à quel point j'avais été gâtée cette journée...

     


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