• Pologne: Rien qu'à la voir

    RIEN QU'A LA VOIR...

    Les activités quotidiennes des femmes de notre quartier étaient essentiellement basées sur leur bonne condition physique et dépendaient donc de leur musculation générale.

    Elle méritaient pour ces corvées le plus total respect de leur proche entourage.

    C'était cependant en Silésie où le pourcentage d'hommes molestés, si pas « battus » (et ainsi obéissants) était le plus important : un simple différend d'opinions de nature conjugale se réglait immédiatement au moyen de l'un ou l'autre ustensile de ménage, disponible immédiatement, bien sûr, sous la main...

    Chaque objet se trouvant en possession de ces mégères autoritaires avait son rôle et sa fonction bien précis, aussi bien dans l'exécution de leurs taches ménagères, que dans le redressement comportemental de l'un ou l'autre partenaire, attribué « pour le meilleur et pour le pire »...

    Commençant par une anodine « warzecha » - une simple spatule en bois, ou « rogalka »

    rogalka 2

     

    - pour rendre le lait caillé lisse.

    Un fier et contondant « tasak » - pour détacher, et à toute vitesse, des petites portions d'un gros morceau de la viande...

    Ou encore, cette brave « trzepaczka », - l'une, pour battre les tapis, l'autre, dans une version plus réduite, pour battre les blancs d'œufs ...

    Et puis, le roi incontestable de la paix conjugale, si bien connu dans le monde : « wałek do ciasta » - ce rouleau pâtissier tant redouté par les compagnons de leurs opératrices... ou encore un  « tłuczek do ziemniaków » - le presse purée... une arme de substitution... 

    Le soleil, commençant à peine à pointer timidement le bout de son nez, accompagné des discrets cliquetis des bouteilles de lait, d'une capacité d'un litre, placées sur le paillasson à côté de chacune des portes d'entrée de nos appartements, se mettait à éclairer le « champ de bataille » de maman.

    Pacifique et silencieux.

    Maman entamait sa grande lessive mensuelle.

    Et dans son terme exact.

    La « clé de la réussite », ou du bon déroulement de l'ensemble de la lessive se trouvait chez un autre voisin, occupant le même lieu quelques jours avant, et où il fallait aller la chercher la veille...

    Il fallait également savoir qui la détenait... Et dans cet immeuble il y avait onze possibilités...

    La fidèle machine à lessiver de maman, « Frania »,

    pralka frania 2

    avait été précieusement et préalablement placée dans le sous sol, dans un endroit appelé « salle d'eau », ou plutôt, une « salle de musculation » des femmes de notre immeuble... 

    Un chaudron hors normes,

    kociol 2


    incorporé dans un poêle à charbon, y trônait, rempli d'eau avec quelques kilos de savon gris de « Marseille »- jaune


     

    savon marseille 2

    et il chauffait, chauffait, chauffait à petit feu et au petit soin, comme un plat à mijoter,  depuis quelques heures déjà. 

    J'avais toujours froid dans le dos lorsque je voyais cette flotte bouillonnante et révoltée, à bulles multicolores, prête à accueillir notre linge sale ou à exploser devant nos yeux.

    De temps à autre, il fallait remuer cette mixture savonneuse à l'aide d'une immense spatule en bois (1,50 m.), appelée « warzecha », dont seule maman avait le talent pour la manipuler délicatement et avec précautions pour ne pas se brûler.

    Flop, flop et re-flop - tombaient silencieusement et en chute libre les draps sales de nos quatre « cou-couches » de nuit, les taies d'oreillers, les petits oreillers - « Jasiek », des housses de « pierzyna » - couvertures en duvet d'oies (de « pierze » - duvet), plus quelques nappes de table, dans la gueule béante du chaudron affamé, crachotant tout les X temps des giclures de dimension XXL ...

    En voyant cela, j'imaginais alors les tribus de cannibales, lesquelles, quelque part dans le monde, confectionnaient ainsi leur « sou-soupe populaire »...

    « Sur une île déserte arrive tant bien que mal le rescapé d'un naufrage.

    De loin il aperçoit une silhouette humaine.

    Craintif,  il s'adressa à elle :

    - Y a-t-il des cannibales sur cette île ?

    - Non ! Pas du tout ! - répondit l'indigène. J'ai bouffé le dernier hier soir ! ».

    Après une longue cuisson, les gros métrages de tissu, mélangés avec vigueur et assiduité durant quelques heures, étaient transvasés, un par un, dans la lessiveuse « Frania » où ils étaient traités, cette fois-ci, « mécaniquement ».

    Tâtés, frottés et encore touillés, ils étaient ensuite rincés plusieurs fois.

    Enfin, ils étaient prêts à être essorés.

    Tout ça à la main...

    Certains exigeaient un trempage dans une solution visqueuse d'eau et de farine de pommes de terre, l'amidon - « krochmal », afin qu'ils soient raides et cartonnés, tel un jeu de cartes « Piatnik » ...

    Suspendus sur les cordes dans la pièce avoisinante, ILS se reposaient enfin pendant quelques jours et la clé du local revenait alors à quelqu'un d'autre... 

    Alors que...

    Dans notre appartement, Tygrys, ayant terminé ses « coulés continuels » d'aciérie, faisait son irruption et procédait à l'inventaire de la cuisine, en scannant rapidement, de loin et discrètement, le contenus des casseroles, ayant jadis abrité un repas chaud et mitonné la veille, et gisant un peu partout en complicité parfaite avec la vaisselle sale...

    Les lits défaits...

    Nous montions nos 47 marches, en titubant de fatigue et en croulant sous le linge humide et pesant destiné à être séché à la maison...

    Maman trimbalant en plus la grosse « warzecha » sous ses bras chargés...

    - C'est quoi ce bordel ? Pourquoi il n'y a rien à manger ?! Et toute cette vaisselle sale qui traîne partout ? Mais qu'est-ce que tu as donc fait tout au long de la journée ?! - rugissait Tygrys, « in peto » et « in porta » de sa basse faussement « trémoleuse » cependant très moelleuse.

    - Mais enfin ! Nous avons lessivé toute la journée et... - répondait maman (de sa voix suave, se transformant cependant en un alto

    coloré d'une fameuse pointe d'agacement) -  tout en brandissant sa « warzecha » (l'encombrant toujours...) pour la glisser, comme d'habitude, derrière une armoire du couloir d'entrée, située juste dans l'axe où se tenait Tygrys rouspétant...

    Voyant cela :

    (Ô, miracle !!!)

    - Oh, c'est bon, c'est bon... - grommelait-il décontenancé - Enfin... Je te pose gentiment quelques questions, ma chérie.... On ne peut pas ? Et si je vous faisais une bonne « jajecznica » ? - des œufs brouillés.

    http://www.youtube.com/watch?v=V92OBNsQgxU


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